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Le Sahel comme espace de transit des stupéfiants. Acteurs et conséquences politiques

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Pierre Bourdieu avait l’habitude d’affirmer que, face à un fait social, économique ou politique dont le chercheur fait son objet, il y a deux écueils opposés qu’il faut éviter et entre lesquels il faut se situer. Ces deux écueils sont ce qu’il appelle l’illusion du « jamais vu » et l’illusion du « toujours ainsi ». L’illusion du « jamais vu » est générée par l’inévitable effet de loupe inhérent à toute étude. Analysant des trafics dans une zone ou l’émergence de nouveaux produits (cocaïne), il est tentant de tomber dans le « jamais vu », c’est-à-dire que l’on pense avoir affaire à quelque chose d’inédit, de mettre le doigt sur des phénomènes en rapide augmentation et propres à remodeler la réalité sociale et politique de la zone, et qui affecteront durablement les populations concernées.
L’extrapolation des chiffres sur une courte durée peut effectivement conduire à une vision un peu catastrophiste, à prédire un avenir nécessairement plus dangereux ou médiocre, une transposition de la guerre de la drogue mexicaine actuelle à des pays d’Afrique de l’Ouest et du Sahel. Nous avions tenté dans une publication de replacer la problématique des trafics dans une perspective de temps un peu plus longue, pour voir justement que l’on n’est pas dans le « jamais vu », que la question des trafics n’est pas nouvelle dans la zone, qu’elle doit être replacée dans le contexte politique national [Antil, 2009]. Il faut donc se demander si, comme c’était le cas avec Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya (1984-2005) [Antil, 2009], le pouvoir central est capable de peser sur la question des trafics, d’arbitrer la gestion de la rente et les rivalités des différents acteurs de ces trafics, ou même de faire des trafics un outil diplomatique avec le voisinage proche. Il faut en effet se méfier des raccourcis. Un État comme le Maroc est un État solide bien qu’il soit l’un des principaux producteurs de drogue du monde, que son espace soit traversé par des migrants clandestins et des routes de trafics de produits divers sur lesquels ses propres services de sécurité puisent une rente.
Si l’on allonge le pas de temps de la réflexion, on peut se rendre compte que le commerce transsaharien n’est pas fondamentalement différent des trafics actuels qui passent par cet espace et que des États sahéliens médiévaux sont nés autour du contrôle de ces routes. Cependant, nous tombons ici dans l’autre écueil évoqué par Pierre Bourdieu, l’illusion du « toujours ainsi », c’est-à-dire que, pris dans le temps long, la tendance est à la relativisation des nouveaux phénomènes, avatars contemporains de faits qui jalonnent et structurent l’histoire de la région.
Une idée servira de fil rouge à ce texte, c’est que comme nous le dit Jean-François Bayart [1997] et nous le rappelle Roger Botte [2004, p. 149-150] dans Politique africaine, les trafics ne doivent pas être analysés, en Afrique comme ailleurs, comme en marge de la société, car ils sont un mode d’insertion dans l’économie mondiale et contribuent à un processus de déstructuration-restructuration du politique.
Dans un premier temps, nous décrirons l’arrivée de deux produits dans la zone sahélienne, le haschich et la cocaïne, dont nous soulignerons ensuite les métamorphoses de la géoéconomie. Dans un second temps, nous tenterons de réaliser une typologie des acteurs du trafic de cocaïne en Afrique de l’Ouest et au Sahel pour comprendre, enfin, les impacts politiques sur les pays sahéliens.

La route sahélienne du hachisch


La production mondiale annuelle de résine de cannabis varie, selon les différentes méthodes d’évaluation, entre 2200 et 9900 tonnes [UNODC, 2011, p. 183]. Le Maroc, même si sa production a fortement diminué ces dernières années, reste le premier producteur mondial, avec environ 21 % du total [UNODC, 2011, p. 186]. La spectaculaire diminution de sa production enregistrée entre 2003 et 2005 explique, en partie, le fléchissement de la production mondiale. Concentrée dans les provinces septentrionales de Chefchaouen, d’Al Hoceima et de Taunate, la production a chuté (de 3060 tonnes en 2003, 1066 tonnes en 2005 et un peu moins de 1000 tonnes en 2008) en raison du combat mené par les autorités qui a conduit à une diminution des surfaces cultivées. Le combat contre cette production est un énorme problème social car une étude menée en 2004 a montré qu’un peu plus de 800000 Marocains dépendaient directement ou indirectement du revenu de cette production.
Outre le transport direct vers l’Espagne, les barons du haschich marocains font alliance avec les Algériens pour exporter leur marchandise vers l’Europe et les Proche et Moyen-Orient (en plus de la consommation algérienne). Dans son article d’El Watan, Salima Tlemçani a ainsi décrit en détail l’organisation du trafic en Algérie telle qu’on l’a découverte au moment de l’affaire Ahmed Zendjabil [El Watan, 2006] en 2006. Le réseau algérien, dont la tête était à Oran, bénéficiait comme au Maroc de très hautes protections (chef de la sûreté de la wilaya, parquet, douaniers, classe politique, etc.). Trois routes existaient : – Oran-Alger-Marseille/ Alicante ; Oran-Ketama-Sebdou-Mechia-Naama-Adrar-Libye ; Oran-Sidi Bel Abbes-Mascara-Tiaret-Sétif-Tebessa-Tunisie. Au faîte de sa puissance, vers 2003, ce réseau a vraisemblablement exporté jusqu’à 900 tonnes de résine de cannabis depuis l’Algérie.
En plus de celles déjà évoquées, une route saharo-sahélienne est montée en puissance depuis le début des années 2000. La marchandise part du nord du Maroc vers le nord de la Mauritanie (elle passe à l’est du Maroc et du Berm). Au nord de la Mauritanie, dans la région du Tiris Zemmour, cette route bifurque assez rapidement vers le nord du Mali qu’elle traverse avant de continuer au Nord Niger. À peu près au niveau d’Agadez, une première route part vers le nord, vers la Libye puis les Balkans avant de se répandre dans toute l’Europe (il y a également une branche Libye-Égypte-Proche-Orient). La seconde route continue vers l’est traversant le Tchad, le Soudan et la mer Rouge pour aller vers le marché du Golfe et du Moyen-Orient. L’UNODC [2007, p. 12] mentionne à propos du Niger un total de saisies de plus de 5 tonnes entre avril 2006 et avril 2007 pour une valeur de plus de 7 millions de dollars. On ne dispose pas aujourd’hui d’estimation fiable des quantités qui peuvent transiter par cette route sahélienne, bien que Jean-Luc Peduzzi affirme, sur la base d’estimation des services de renseignement mauritaniens, qu’au moins un tiers de la production marocaine passait par la route sahélienne à la fin des années 2000, soit un peu plus de 300 tonnes. Le kilogramme de haschich se vend à 800 euros au Maroc et vaut 4000 euros quand il a franchi la mer Rouge
Cette route est divisée en segments avec des responsables, généralement tribaux, pour chacun d’entre eux (Tekna, Berrabich, divers groupes touaregs, Kunta) qui louent les services de certains de leurs jeunes hommes pour convoyer la marchandise. Deux des modes opératoires les plus courants nous ont été révélés. Dans la première formule, la marchandise serait transportée par groupes de quatre pick-up. Trois d’entre eux contiendraient chacun une charge de 400 kilogrammes de hachisch, le quatrième pourvoirait à la logistique. Dans l’autre formule, une voiture chargée de marchandises est confiée à un jeune homme qui doit la conduire à un point GPS précis. Une fois arrivé, il doit s’éloigner de son véhicule pendant une demi-heure. À son retour, son véhicule est vide. Il doit alors rebrousser chemin. Après quelques rotations, le pick-up est à lui. Les points communs entre ces deux modes opératoires sont, d’une part, l’extrême rapidité des convois et/ou des voitures avec des moyennes horaires dignes d’un rallye, ainsi que la sophistication de la logistique (GPS, téléphones satellite, réserves d’essence cachées en des points GPS connus du seul réseau…). D’autre part, la marchandise appartient au réseau d’origine : il semble en effet que les membres des différentes tribus n’étaient en 2008-2009 que des « transitaires ». Les connexions entre tribus sont solidifiées par des échanges matrimoniaux. Ainsi des « hommes d’affaires » maures se sont mariés, au cours de ces dernières années, à des femmes touarègues maliennes et nigériennes. L’ensemble Kunta présent en Mauritanie et au Mali disposerait ainsi de réseaux d’amitiés/complicités depuis le Nord mauritanien et jusqu’à l’Est nigérien. Pour achever la description de cette route saharienne principale, il faut préciser qu’il existerait deux « bretelles ». L’une transite par le sud du territoire algérien, dans laquelle la brigade salafiste AQMI et des officiers algériens seraient impliqués. L’autre traverse le Maroc le long du littoral pour entrer en Mauritanie par Nouadhibou, passe par Nouakchott puis part vers l’Est mauritanien en empruntant la « route de l’Espoir » avant de se diriger vers le réseau de routes goudronnées malien, puis burkinabé et nigérien. La différence avec les autres routes, c’est bien évidemment qu’elle emprunte les réseaux goudronnés des différents pays concernés, ce qui permet d’utiliser des camions et donc de transporter de plus grosses quantités. Plusieurs saisies très importantes ont d’ailleurs été réalisées par les autorités mauritaniennes depuis 2007 [Afrik.com, 2008 ; Nouakchott Info, 2008]. En revanche, cette route plus méridionale implique nécessairement des « protections » car de nombreux contrôles ont lieu sur ces axes.
Mais un autre stupéfiant, la cocaïne, a fait son apparition dans la zone dans la dernière décennie. Pour comprendre son arrivée en Afrique de l’Ouest et en particulier au Sahel, il faut la restituer dans la géoéconomie [Champin, 2010] plus globale de ce produit.
L’arrivée de la cocaïne en Afrique de l’Ouest et au Sahel
Avant 2005, les saisies de cocaïne sur le continent africain étaient négligeables, de l’ordre d’une tonne par an, alors qu’entre 2005 et 2008 46 tonnes ont été interceptées [Sun Wyler et Cook, 2009, p. 8] dans les pays d’Afrique de l’Ouest ou sur des bateaux dont celle-ci était la destination. Les saisies réalisées durant cette période dessinaient une géographie précise de la circulation de ce produit et mettaient en relief deux zones : l’une centrée autour de la Guinée-Bissau et de la Guinée-Conakry, avec une extension au Sénégal et en Mauritanie ; l’autre, secondaire, dans le golfe de Guinée, plus particulièrement au Ghana et au Bénin.
La cocaïne est arrivée en Afrique de l’Ouest non pour alimenter la consommation locale, mais est en transit vers le marché de consommation européen. On estime que 15 % de la production mondiale de cocaïne transite désormais par l’Afrique de l’Ouest. La production mondiale est variable d’une année sur l’autre (1008 tonnes en 2004, 980 en 2005, 910 en 2006, 994 en 2007, 865 tonnes en 2008 mais on peut estimer qu’entre 80 et 100 tonnes de cocaïne y transitent désormais annuellement .
La poussée de la cocaïne en Afrique de l’Ouest témoigne de la transformation de la géoéconomie mondiale de ce produit. Trois pays andins sont producteurs de ce stupéfiant. L’UNODC [2010, p. 70] souligne qu’en 2006 la Colombie représentait environ 70 % de la production mondiale, le Pérou 20 % et la Bolivie 10 %. Les marchés de consommation sont, quant à eux, plus nombreux, mais tout de même assez fortement polarisés sur trois régions du monde : l’Amérique du Nord, avec un poids très important des États-Unis, représentait 41 % de la consommation mondiale en 2008, l’Europe 26 % et le Cône Sud 20 %. Compte tenu du prix de vente légèrement plus élevé en Europe, les marchés européens et nord-américains étaient à peu près équivalents en 2008 (34 milliards de dollars US en Europe contre 38 en Amérique du Nord . De plus, sur le marché nord-américain, le prix de vente de la cocaïne au détail est maintenant moins élevé qu’en Europe (à taux de pureté comparable). Les organisations criminelles des pays producteurs, notamment les cartelitos colombiens (ces derniers sont obligés de collaborer avec les cartels mexicains, qui peu à peu s’imposent et contrôlent de plus en plus le marché de gros aux États-Unis), se sont de plus en plus tournées vers le marché européen, où la consommation a régulièrement augmenté depuis la fin des années 1990. En outre, l’installation en Amérique latine de membres des mafias italiennes comme la Ndrangheta et Cosa Nostra facilite également le transfert vers l’Europe.
ependant, un marché européen en expansion ne suffit pas à lui seul à expliquer l’arrivée de la cocaïne en Afrique de l’Ouest. En effet, la route Amérique latine-Afrique de l’Ouest-Europe n’est pas la première ni la seule route d’acheminement de cette drogue vers le vieux continent. La route la plus ancienne est une route « nord », qui passe par les Caraïbes, les Açores, puis la péninsule Ibérique ou le nord de l’Europe. La route centrale passe par le Cap-Vert ou Madère, puis les Canaries avant d’arriver en Europe. Ces deux routes sont de plus en plus dangereuses pour les trafiquants car la densité de bateaux et la capacité d’observation et d’interception de la part des Européens et des Américains y sont bien supérieures à ce qu’elles peuvent être plus au sud. C’est pour cela que s’est développée, ces dernières années, une route plus méridionale, qui suit plus ou moins le 10e parallèle nord, d’où son surnom d’« autoroute 10 », partant du Venezuela ou du Brésil vers l’Afrique de l’Ouest.
À partir de celle-ci, tout du moins dans la période 2005-2008 selon les différents travaux de l’UNODC, les cargaisons de cocaïne pour l’Europe empruntaient plusieurs modes de transport et routes. Par voie terrestre, la cocaïne semblait à la fois reprendre des routes transsahariennes classiques (Mauritanie-Sahara occidental marocain-Maroc/Guinée-Conakry-Mali-Algérie/golfe de Guinée-Niger-Algérie ou Libye), mais aussi emprunter des itinéraires plus détournés (routes ouest-est vers la mer Rouge et le marché moyen-oriental/façade atlantique-Mali-Niger-Libye ou Égypte-Balkans) ou enfin des routes plus diffuses, de « capillarité », entre capitales ouest-africaines pour une petite consommation régionale. La seconde voie est littorale et maritime. Le départ se fait depuis des ports de l’Afrique de l’Ouest vers l’Europe, directement ou avec des changements de bateaux  dans un port d’Afrique du Nord et/ou un acheminement en speed boat à destination de la péninsule Ibérique.

Enfin, les lignes aériennes commerciales sont également utilisées, avec une préférence pour les parcours non directs, c’est-à-dire avec des changements dans les aéroports d’Afrique du Nord, et en particulier à Casablanca et à Tripoli. En 2009, les saisies ont commencé à diminuer, ce qui a fait croire à un ralentissement du transit ouest-africain vers l’Europe. Mais l’« affaire du Boeing » [Daniel, 2009], en novembre 2009, a montré que les routes s’étaient adaptées aux dispositifs sécuritaires mis en place. En effet, ce Boeing, qui avait décollé du Venezuela, pays qui est devenu l’une des principales portes de sortie de la cocaïne à destination de l’Afrique de l’Ouest, avait été spécialement affrété pour cette mission unique. Il est parti de Maracaibo, sa feuille de route désignait Praïa comme destination finale. Au-dessus de l’Atlantique, il a coupé son émetteur et a continué son vol vers le Mali. Il a atterri à Tarkint, une localité située au nord de la ville de Gao dans le nord-est du territoire malien, chargé de cinq à dix tonnes de cocaïne, avant d’être détruit. Cette affaire a révélé que le nord du Mali et de la Mauritanie n’a pas de couverture radar. Alexandre Schmidt du bureau de l’UNODC à Dakar déclare alors que l’on est face à un nouveau mode opératoire [Parayre, 2009 ; Boisbouvier, 2009]. En effet, au moins deux autres vols ont été repérés, le 28 février et le 3 mars 2010. Le journal algérien Liberté signale quant à lui un avion chargé de cocaïne ayant atterri près de Tombouctou le 25 janvier 2010 [Liberté, 2010] ; toutefois, la localisation de la zone d’atterrissage est très floue. Alain Rodier [2010, p. 8] parle également d’un avion qui se serait posé dans la région de Kayes, le 6 février 2010 avec quatre tonnes de cocaïne ; le 9 février, un autre appareil se serait posé dans la zone de Kidal, à l’est du Mali. À Bamako, en novembre 2010, on nous a confirmé l’existence d’avions chargés de cocaïne avant l’affaire du Boeing, et après. Cependant, les autres avions ayant atterri dans le Nord malien, n’étaient pas tous de gros avions ayant traversé directement l’Atlantique ; certains petits appareils seraient partis de Guinée-Bissau. Ainsi, la baisse des saisies enregistrées en 2009 n’était pas forcément un signe de recul du transit par l’Afrique de l’Ouest mais celui d’une modification des modus operandi et donc des routes. Enfin, il faut souligner que plusieurs rapports notent que l’Afrique de l’Ouest n’est pas uniquement un espace de transit, mais aussi de stockage, de reconditionnement et de dispatching de la marchandise. Ainsi, au début de l’année 2011, circulait dans plusieurs pays africains de la cocaïne qui avait été entreposée au Nord Mali, preuve que cette zone est, depuis l’arrivée de différents avions de la coke en 2009, un lieu de stockage et non plus une étape sur la route des trafiquants.
Les grandes affaires liées à la cocaïne sont arrivées un peu plus tôt en Mauritanie qu’au Mali. En raison de sa position littorale, le pays est plus apte à recevoir des « marchandises » et à être un espace de transit terrestre vers l’Afrique du Nord. La première affaire a éclaté à Nouadhibou en 2006 [Tahalil Hebdo, 2008]. De jeunes Mauritaniens qui participaient à une opération de trafic de cocaïne, en complicité avec des trafiquants colombiens et des personnes basées aux Canaries, ont détourné de la drogue (vraisemblablement plus d’une tonne) et l’ont revendue à leur seul profit, bénéficiant notamment de complicités au sein des services de sécurité locaux. En mai 2007, un avion (un Cessna) atterrit sur l’aéroport de Nouadhibou, décharge sa marchandise (plus de 600 kg), est surpris par des éléments des forces de sécurité, repart et doit se poser, faute de carburant, quelques dizaines de kilomètres plus loin. Cette opération a été organisée, côté mauritanien, par le fils d’un ancien président de la République mauritanienne (Sidi Mohamed Ould Haïdallah) qui est arrêté quelques semaines plus tard au Maroc. L’enquête policière révèle la complicité d’un officier local d’Interpol, parent d’un autre ancien Président. Une enquête de l’IGE (Inspection générale de l’État) [IGE, 2007] mauritanienne souligne les nombreuses incohérences dans les récits des différents responsables des services de sécurité de la ville. Au niveau national, les saisies se multiplient en 2007 puis encore en 2008 (plusieurs centaines de kilogrammes) avant de diminuer fortement.
En effet, durant l’année 2010, les autorités mauritaniennes ont opéré près de 276 arrestations de trafiquants de drogue, dont 202 ressortissants étrangers [AFP, 2010]. Pourtant, les 103 opérations de police menées n’ont permis la saisie que de 20 kilogrammes de cocaïne et 1,2 tonne de chanvre indien. Cette diminution peut laisser croire à une efficacité plus importante des services de sécurité. Toutefois, des entretiens réalisés à Nouakchott nous ont amené à avoir une lecture plus pessimiste et plus politique. Un entretien croisé [15] En effet, durant l’année 2010, les autorités mauritaniennes ont opéré près de 276 arrestations de trafiquants de drogue, dont 202 ressortissants étrangers [AFP, 2010]. Pourtant, les 103 opérations de police menées n’ont permis la saisie que de 20 kilogrammes de cocaïne et 1,2 tonne de chanvre indien. Cette diminution peut laisser croire à une efficacité plus importante des services de sécurité. Toutefois, des entretiens réalisés à Nouakchott nous ont amené à avoir une lecture plus pessimiste et plus politique. Un entretien croisé  avec un expert du monde politique et économique et un haut fonctionnaire nous a permis de recueillir cette lecture.
Question : Le trafic a-t-il diminué, quels en sont les acteurs ?
Réponse : Les acteurs ! Des gens extrêmement puissants, des personnes capables de déstabiliser n’importe quel pouvoir, avec de nombreux relais politiques. Ils ont les moyens d’avoir des gens à l’Assemblée, d’être gênants, incontournables. Ils sont d’ailleurs liés aussi bien à la majorité qu’à l’opposition. Ce sont des hommes d’affaires ou des transitaires, qui ont des revenus sans aucune commune mesure avec leurs activités officielles. Il serait dangereux pour le pouvoir de les affronter directement, frontalement. Il n’est pas totalement sûr que le pouvoir actuel ait même les moyens de leur fixer des lignes rouges. Il faut qu’il négocie, leur demande d’arrêter contre la promesse d’une certaine tranquillité, voire d’une récompense.
Question : Tout de même, il y a des arrestations !
Réponse : Les affaires actuelles concernent quasi exclusivement des étrangers ou, lorsqu’il s’agit de Mauritaniens, des sous-fifres. D’ailleurs, lorsque cela a, par le passé, concerné des personnes disposant de protections, ces affaires ont fait pschitt, sont venues se perdre en justice puis disparaître corps et biens, comme dans l’affaire de Nouadhibou en 2006.

La cocaïne arrive à Nouakchott ou à Nouadhibou, et est acheminée ensuite vers le Maroc, puis vers l’Europe via les principaux ports marocains.

Les avantages comparatifs de l’Afrique de l’Ouest sont nombreux en raison des faiblesses structurelles et institutionnelles des pays (porosité des frontières, faiblesse du système judiciaire et policier, etc.). Néanmoins, les lignes qui précèdent ne doivent pas donner une vision trop passive de l’Afrique de l’Ouest et de ses habitants. En effet, les Africains ne sont pas nécessairement des acteurs secondaires de ce trafic, comme nous allons le voir.

Quels sont les acteurs du trafic de cocaïne ?

Les organisations criminelles internationales

Les organisations criminelles latino-américaines (cartels et cartelitos) et européennes (Cosa Nostra, ’Ndrangheta, etc.) sont un type d’acteurs très puissant. Si l’on se réfère aux arrestations de personnes non originaires de la zone, on trouve des Colombiens, des Vénézuéliens, des Mexicains et des Brésiliens, mais aussi des Espagnols (Galiciens), des Italiens (Siciliens et Calabrais) et des Français. Selon plusieurs entretiens réalisés à Dakar, Nouakchott et Bamako, on a vu, ces deux dernières années, apparaître dans diverses affaires des ressortissants d’Europe de l’Est (notamment des Ukrainiens), mais également des Maghrébins (principalement des Marocains). Les Colombiens ont, depuis quatre à cinq ans, établi des liens avec plusieurs pays de la région (Ghana, Nigeria, Guinée, Guinée-Bissau, Sénégal et Togo [Aning, 2010, p. 6]), avec des activités de couverture, comme l’hôtellerie de luxe ou l’import-export.

Un réseau démantelé à Bamako et à Salé (Maroc) illustre ce type d’acteurs. À Bamako, un Vénézuélien, un Espagnol et un Portugais ont été arrêtés en août 2010 après l’assassinat d’un « associé » ukrainien [Baba Niang, 2010 ; Le Journal hebdomadaire, 2010]. Ces personnes étaient liées à un groupe d’Européens et de Marocains basé au nord du Maroc, qui ont été arrêtés quelques semaines plus tard. La drogue transitait entre Bamako et le nord du Maroc en empruntant la voie terrestre et en passant par l’Algérie (entrant sur le territoire marocain par la localité de Figuig) ou le nord de la Mauritanie. Elle était ensuite acheminée par petits avions ou par voie maritime vers l’Espagne. Ce groupe aurait effectué huit opérations entre mars et août 2010 et aurait loué le savoir-faire d’AQMI sur une partie du parcours de traversée du Sahara.

Les groupes mafieux africains

En ce qui concerne la cocaïne, les mafias nigérianes [Ellis, 2009] sont régulièrement citées dans des affaires en Europe et en Afrique de l’Ouest (Ghana, Guinée-Bissau, Mali, Mauritanie, etc.). Ces groupes se sont spécialisés dans les envois de « mules » (personnes qui transportent de la drogue en l’ingérant) par grand nombre sur différentes lignes aériennes à destination de l’Europe. Ils s’associent aux Latino-Américains en Afrique de l’Ouest, mais peuvent, notamment en s’appuyant sur la diaspora nigériane présente au Brésil, aller directement chercher de la cocaïne en Amérique latine. Les Nigérians disposent généralement de plusieurs passeports, étant donné la facilité avec laquelle on peut se procurer de « vrais-faux » papiers dans certains pays d’Afrique de l’Ouest. Ces organisations criminelles viennent pour la plupart du monde igbo, et en particulier de l’État d’Edo [Ellis, 2009, p. 189]. Elles sont à la fois très souples et très performantes. L’une de leurs forces est qu’elles sont organisées autour de sous-groupes du monde igbo, ce qui les rend très difficiles à infiltrer car leurs membres parlent généralement une langue microlocale. Évidemment, les mafias nigérianes [Cybernewsfeed, 2010] ne sont pas les seuls acteurs ouest-africains du trafic de la cocaïne : on note également le rôle de plus en plus important des groupes criminels ghanéens [Akyeampong, 2005 ; Aning, 2010].

Les autres acteurs : des individus issus de la diaspora libanaise, les membres de tribus sahariennes et les individus issus des diasporas africaines en Europe

La liste des acteurs du trafic de cocaïne ne serait pas complète si nous n’évoquions pas la diaspora syro-libanaise. Cette diaspora installée en Afrique à la faveur de la colonisation française vit majoritairement dans des pays francophones d’Afrique de l’Ouest. Stephen Ellis [2009, p. 172] note que, dès 1952, des trafiquants libanais utilisaient celle-ci comme espace de transit pour l’héroïne à destination des États-Unis.

Il convient de souligner la présence d’une série d’acteurs locaux. Au Sahel, et en particulier dans le septentrion malien, on trouve des groupes de trafiquants que l’on peut aisément identifier à certaines fractions de tribus maures, arabes et touarègues. Comme nous le verrons plus loin, ils peuvent assurer le convoiement de la cocaïne. Ces acteurs n’ont pas de spécialisation propre, on les retrouve également dans la contrebande de cigarettes ou le convoiement de haschich . Au mois de mars 2011, des avancées de l’enquête sur le Boeing du Nord Mali [AFP, 2011] ont permis de mettre en évidence le rôle d’un Sahraoui et d’un Arabe malien, qui se présentent tous deux comme « commerçants ». Ils disposaient de réseaux de contact depuis le Sahara occidental jusqu’à Gao. Certaines tribus sahariennes présentent de nombreux individus aux réseaux interpersonnels très développés et très étendus dans l’espace. Ils sont transporteurs, commerçants, hommes d’affaires ou guides et sont des relais intéressants pour qui veut faire traverser des produits illicites dans ces espaces désertiques. La cocaïne rapporte beaucoup plus : un pick-up de cocaïne a la valeur de trente pick-up de haschich, pour un risque identique.

Autres acteurs, tout à fait émergents : les membres de groupes maîtrisant le marché de détail dans certains quartiers de villes européennes, qui viennent en Afrique de l’Ouest se procurer de la cocaïne pour maximiser leurs profits. Ces acteurs sont majoritairement issus des diasporas d’Afrique de l’Ouest et/ou des « deuxième génération » qui peuvent ainsi profiter de connexions locales. Ainsi une jeune femme a été arrêtée, en janvier 2008, avec 15 kilogrammes de cocaïne à l’aéroport de Bamako-Sénou [AFP, 2008]. Elle avait été payée par un groupe de jeunes Maliens d’une banlieue parisienne pour aller chercher de la cocaïne à Bamako, mais s’est fait arrêter par les services de sécurité maliens. Un membre des services de sécurité capverdiens dressait le même constat , soulignant l’exemple d’un Capverdien de « deuxième génération » devenu l’un des caïds de la drogue sur l’archipel entre 2005 et 2008.

Les mafias d’État

Autre acteur important du trafic de cocaïne en Afrique de l’Ouest, un acteur hybride et hétéroclite, les « mafias d’État », distinctes des mafias ou des groupes criminels ordinaires. Généralement, les premiers signes de la présence de ces entités sont les arrestations de membres des forces de sécurités. À mesure que les grades et les qualités des prévenus s’élèvent, il ne s’agit plus de simples phénomènes de corruption ou d’indélicatesses individuelles (occasionnées par la présence de cartels ou de mafias capables d’acheter des protections), mais de l’existence d’entités qui ont atteint une taille systémique. Parler des mafias d’État, installées à la tête du pouvoir dans tous les pays de la zone n’a aucun sens. Ce terme est employé pour décrire l’un des « devenirs possibles » pour un certain nombre de pays de la zone. Nous sommes en effet en présence d’une tendance à une organisation de plus en plus conséquente et intégrée de l’économie de ce produit.

En effet, la plupart des rapports abordent généralement la question de la participation des services de sécurité de manière passive. Ils montrent que le transit de la drogue en Afrique de l’Ouest est permis notamment par la facilité avec laquelle les services de sécurité peuvent être corrompus. Cette vision doit être considérée au regard de multiples exemples nationaux, comme la Guinée-Bissau ou la Guinée-Conakry où des politiques et des militaires de haut rang sont les organisateurs du transit de la cocaïne. Dès lors, il ne s’agit plus de savoir si, à l’origine, ils ont été sollicités par des membres de cartels ou des trafiquants libanais mais de voir comment ils sont devenus un élément clé de ce trafic. Une source sécuritaire à Dakar nous indiquait qu’elle pensait que le départ de José Americo Bubo Na Tchuto, en 2008, avait provoqué une désorganisation du trafic qui était peut-être à l’origine de la nouvelle stratégie qui consistait à convoyer directement par avion de grosses quantités de drogue vers les marges désertiques des pays sahéliens. En Gambie, les enquêtes menées en 2010 ont conduit à l’arrestation de hauts responsables de la police, du ministre des Pêches, du chef d’état-major adjoint, du chef de la marine et du responsable de la lutte antinarcotique [Dualé, 2010, p. 31-32].

Il faut bien se rendre à l’évidence qu’il ne s’agit plus de mafias ou de groupes criminels qui infiltrent les services sécuritaires et les États, mais de mafias d’État en cours d’édification qui deviennent des acteurs incontournables du trafic sur un territoire ou une portion de territoire donnéLoin d’être cantonnées au domaine sécuritaire, les mafias d’État sont constituées de segments venus du monde des affaires, de la haute administration, de la parentèle ou du premier cercle d’amitié du Président et de personnes issues du monde politique. Ces segments s’enracinent dans la population grâce à des réseaux clientélistes épousant ou non les solidarités ethnicorégionales et confrériques.

Quelles sont les conséquences du transit de stupéfiants dans le Sahel ?


Dans cette ultime partie, conclusive, nous décrirons les évolutions induites par l’arrivée de ces produits dans la zone sahélienne. Nous ne nous étendrons pas sur les conséquences généralement mises en avant dans les rapports (hausse de la criminalité, de la corruption, effets sanitaires, etc.) mais il nous semble intéressant d’analyser les évolutions politiques territoriales et sécuritaires.

L’arrivée de stupéfiants va de pair avec une accélération de la circulation des armes , qui peut alimenter des groupes périphériques armés (cas d’AQMI) ou accélérer les déséquilibres à l’origine des rebellions, mais également une augmentation généralisée de la présence d’armes au sein des populations. Les stupéfiants, et singulièrement la cocaïne dont le trafic génère des profits sans aucune commune mesure avec d’autres produits. Son introduction dans la zone et les cas de richesses spontanées qui lui sont liés créent des modèles d’identification pour des jeunes générations d’hommes qui ont par ailleurs à affronter le marasme économique. Avec au moins deux conséquences : d’une part, les narcotrafiquants n’ont guère de difficultés à trouver des volontaires, qui gagneront en une opération ce qu’ils ne pourraient espérer gagner en plusieurs années de labeur. D’autre part, cette situation va exacerber les compétitions interindividuelles, conduisant de nombreux jeunes à rejoindre eux aussi cette économie.

Cette accélération des compétitions peut s’observer également à un niveau collectif. Dans un article issu d’un long terrain dans le Nord Mali, Judith Scheele [2009] montre l’évolution de la contrebande et des trafics dans la zone frontalière d’Al Khalil (près du poste Bordj Badji Mokthar côté algérien). Dans les années 1970 et 1980, la fraude autour de différents produits alimentaires a fait la fortune de certains commerçants, qui s’engageront ensuite dans le trafic de cigarettes et d’armes. L’arrivée de la cocaïne dans la zone va se traduire par une accélération des phénomènes d’enrichissement mais a aussi contribué aux « luttes de classement » ou à la redéfinition des statuts dans la zone. Ainsi certains groupes arabes de la vallée du Tilemsi vont-ils profiter de leur enrichissement lié à leurs participations aux trafics pour contester la prééminence des Kunta, dont ils étaient auparavant les tributaires [Scheele, 2009, p. 86]. Il y a donc une compétition de plus en plus forte, régulée parfois par la violence, pour l’accès aux ressources liées aux trafics de stupéfiants. Ainsi Sidi El Mokhtar al Kunti, un octogénaire leader de la communauté Kunta (maire de la commune d’Anefis), fut-il enlevé dans la nuit du 21 au 22 janvier 2010. Très rapidement, cet enlèvement est interprété comme une vengeance des Arabes du Tilemsi après que le fils de Sidi El Mokhtar El Kunti a attaqué, quelques jours plus tôt, un convoi de cocaïne et saisi la marchandise pour défaut de paiement du droit de passage [Le Quotidien de Nouakchott, 2010]. Le règlement de cet incident a nécessité une médiation de responsables communautaires mandatés par le président de la République malienne nous affirmait qu’il y avait trois degrés de participation au trafic de stupéfiants dans le Nord : prélever une dîme lorsqu’un convoi traverse le territoire du groupe ; être associé à la protection du convoiement sur un segment de la route parce que l’on connaît le terrain ; être dans l’organisation du convoiement.Selon lui, cela crée deux phénomènes. D’une part, un fractionnement des « territoires tribaux », car chaque clan, chaque sous-groupe peut vouloir toucher la dîme sur « son » territoire. D’autre part, il y a une compétition autour des lieux de stockage du produit. En outre, l’incapacité pour un groupe ou un autre d’accéder aux ressources liées au trafic peut devenir, dans certaines parties des pays sahéliens, un obstacle discriminant à l’accession à des postes électifs (donc à une représentation politique), les élections entraînant en effet des débauches d’argent pour les démonstrations préélectorales et l’achat des votes.

À un niveau étatique, trois constatations peuvent être faites. Premièrement, lorsque ces trafics sont intégrés à des mafias d’État, et donc au monde politico-affairiste, l’arrivée de l’argent de la drogue crée des compétitions entre certains hommes d’affaires locaux qui se détournent des autres secteurs de l’économie. L’irruption des stupéfiants dans un territoire national renforce l’économie rentière. Les élites étatiques, tout à leur compétition pour partager la rente, oublient d’œuvrer à des politiques économiques ambitieuses.

Deuxièmement, le pouvoir politique a la capacité de réguler les compétitions liées à ces trafics, comme c’était le cas pendant une partie de la période Maaaouya Ould Sid’Ahmed Taya en Mauritanie [Antil, 2009], ou même, comme cela semble être le cas aujourd’hui au Mali, d’en faire un outil de régulation interne. Ainsi, dans la région de Kidal, les groupes qui maîtrisaient en 2009-2010 la circulation de la cocaïne (les Lamhar et les Imghad ) étaient majoritairement opposés aux Touaregs Ifoghas et à leurs alliés arabes Kunta. Des éléments issus des sphères politico-sécuritaires, en permettant à ces deux groupes de contrôler ces trafics, leur permettaient d’acquérir une surface politique et militaire pour qu’ils fassent contrepoids notamment au groupe Ifoghas, qui est à l’origine des rébellions touarègues au Mali.

Enfin, en troisième lieu, l’arrivée de ces produits, loin d’être combattue par les dirigeants est, au contraire, tolérée car l’apport de cash qui lui est lié permet de desserrer les contraintes macroéconomiques imposées au pays par les institutions financières internationales. Le directeur d’un journal mauritanien nous affirmait que Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya [31][31]Président de la République islamique de Mauritanie… encourageait les Mauritaniens, lors d’un discours prononcé au début des années 2000, à ramener de l’argent en Mauritanie . De manière codée, il sous-entendait que les autorités ne seraient pas très curieuses sur l’origine de cet argent, car le pays avait à tout prix besoin de liquidités. Aussi l’arrivée de ces produits contribue-t-elle à ce qu’Achille Mbembe appelle la diffraction [Mbembe, 2004, p. 154] :

En effet, entre les années 1980 et 2000, un capitalisme atomisé, sans effet d’agglomération ni pôles gigantesques de croissance, s’est développé sur les décombres d’une économie rentière autrefois dominée d’un côté par des sociétés d’État contrôlées par les clientèles au pouvoir, et de l’autre par des monopoles datant pour la plupart de l’ère coloniale et opérant sur des marchés captifs. La dichotomie économie urbaine/économie rurale, ou encore économie formelle et informelle, caractéristique de l’immédiat après-colonisation a volé en éclats. S’y est substitué un patchwork, une mosaïque de sphères, bref une économie diffractée, composée de plusieurs noyaux enchevêtrés les uns dans les autres et entretenant avec le milieu environnant et les filières internationales des rapports changeants et extrêmement volatils. De cette fragmentation extrême émerge, souvent à l’intérieur d’un même pays, une multiplicité de territorialités économiques parfois emboîtées les unes dans les autres, et souvent disjointes.

Une inscription dans des flux globaux (ici ceux des trafics internationaux) qui participent à une redéfinition de la nature des territoires nationaux.

Conclusion


Ainsi, on peut comprendre que si les trafics ont un potentiel de déstructuration des sociétés et des États, ils peuvent aussi contribuer à produire du politique en remodelant la structuration de la société et du territoire. L’arrivée de nouveaux flux dans l’espace sahélo-saharien ne fait que renforcer la manière dont les pays sahéliens intègrent la mondialisation. Espace de transit plus que de production. L’économie de la cocaïne et du haschich, qui s’appuie sur des réseaux transnationaux voire mondialisés, crée des opportunités politiques dans cette marge du monde de mieux en mieux connectée.

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