Oui, et si c’était le chapitre tant attendu pour la fermeture du livre des malversations économiques et financières en Guinée ? Et si l’establishment du pillage touchait ainsi à sa fin ? Rien n’est encore sûr. Il n’y a ni coupables ni condamnés. Mais il y a des hypothèses à étaler sur cette période très sensible.
Notre pays vient de loin ! On n’a pas une histoire romaine ou grecque mais la Guinée sort d’une case antique. Elle a traversé de tumultueuses péripéties mais elle patine encore sur le tapis boueux du bazar. On parle souvent du hasard mais notre responsabilité est palpable. Il est donc important de rappeler que sur la satanique pyramide des tares de notre pays, la bassesse de l’hiérarchie ethnique est en pôle position. Mais juste en bas, c’est l’inévitable esprit de la magouille qui jaillit avec éclat battant et galant. Or dans la hideuse espèce animale de la magouille, s’égrènent la corruption et ses affluents qu’on connaît. Le grand ensemble de tout s’appelle honteusement malversations économiques et financières. C’est une partie intégrante de notre culture. Rien à dire !
Justement ! Après donc 63 ans de pillage. Non ! Plutôt 37 ans, parce qu’on pourrait tout coller à la très dure révolution de Sékou Touré, mais pas l’étiquette de système de pillage économique. Il a quand même ce mérite d’avoir préservé les ressources étatiques. Donc, accordons-nous sur 37 ans de coups de marteau implacables sur ce que génère l’État guinéen. Qu’est-ce qu’elle est classe, notre expérience de vol institutionnel !
Mais elle est aussi intéressante, cette période inédite de chasse aux ventres illicitement remplis sur le dos du contribuable. Elle est même sensible, cette période de retournement des tiroirs de l’État à la recherche de trains de vie illogiques. Bon bref, qu’elle soit sensible ou intéressante, arrêtons-nous un moment pour tenter d’y voir des choses. Vous l’avez compris, mesdames et messieurs : nous parlons de la CRIEF, cette nouvelle juridiction qui jure avec diction de tendre le traquenard à de potentiels fossoyeurs de la république.
Tout d’abord, analysons l’idée. Qu’est-ce qu’il y a de plus simplement normal pour une gouvernance que de vouloir moraliser le fonctionnement de l’État ? Ce n’est que salutaire ! Et en créant une juridiction spéciale pour matérialiser cet élan, le CNRD se démarque très nettement des anciens régimes qui, eux, ont mis tout leur temps à passer en boucle le refrain des audites, ou d’ailleurs à être submergés par des calculs politiciens sur fond de sensibilités à préserver d’écorcheries. Sans pénétrer le fond, l’idée de la CRIEF est salutaire.
Si vous croyez le contraire par subjectivité, posez-vous cette question : la Guinée a-t-elle une réputation de corruption institutionnelle et de détournement de deniers publics ? Si vous refusez de répondre par l’affirmative à ces interrogations, c’est que vous étouffez votre âme pour empêcher le jaillissement de la vérité à travers sa sincérité. Ne pas reconnaître le statut vert de notre pays au sein du traité universel de la magouille, c’est comme commettre un péché de complicité de ces pratiques-là. Cela dit, et si c’était le déclin de cette Guinée mafieuse ? Et si la CRIEF était envoyée, non pas par le CNRD, mais par l’Etre Suprême, ce pour sonner le glas de notre seule tradition authentique qui est, justement, le pillage économique et la fantaisie financière au sommet de l’État ?
Maintenant, parlons du fond ! Oublions les noms et les visages des personnes mises en cause depuis l’avènement de la CRIEF. Penchons-nous un petit peu sur les accusations. Le saviez-vous ? Ce sont les mêmes qu’on a portées ici dans tous les quartiers à nos hommes d’État. C’est nous qui avons créé ces légendes de gros dossiers de détournement, dans lesquelles on a mis en scène, à tort ou à raison, les mêmes personnes épinglées par la CRIEF. La seule différence entre nos positions initiales et celle du Procureur Spécial, c’est qu’à la place de nos accusations sectorielles selon qu’elles arrangent nos différents camps, Aly Touré, lui, a mis tout le monde dans le même bateau ! Tous ceux et toutes celles qui ont géré ce pays. Réfléchissez bien : vous l’avez bien aidé. Tenez, voici un exemple sur un échantillon des deux anciens Premiers Ministres. Cellou Dalein Diallo n’a jamais quitté la ligne de mire de l’ancienne mouvance présidentielle dont les responsables et militants épinglaient la gestion pour les mêmes dossiers que la CRIEF. Et en face, Kassory Fofana a été au centre des accusations les plus vertigineuses de détournement, amplifiées par l’ancienne opposition politique, et pour les mêmes dossiers que la CRIEF.
Et donc voici ce qui en résulte : s’il y avait une toute petite part de vérité dans les allégations de part et d’autre de cet antagonisme guinéo-guinéen, c’est que la CRIEF n’a rien invité. Elle a juste surfé sur ce qui est évident et reconnu en amont par vous-même; vous qui, aujourd’hui, dénoncez le déclenchement du mécanisme de réglage de vos propres aspirations d’hier. C’est compliqué !
Mais attention ! Attention à la CRIEF, elle aussi. On pourrait retourner les interrogations dans l’autre sens : et c’était une manœuvre de disqualification politique ? Et si c’était l’instrument idéal pour faciliter le déroulement d’un calendrier sordidement opaque ? Et si la CRIEF était tout simplement un ensemble de cris forts délibérément poussés dans le but de chasser des oiseaux compromettants et incompatibles à un élan de confiscation du pouvoir ?
La Guinée est à la croisée des chemins. Seigneur, tu vois encore mon pays se diriger certainement vers un climat de soubresauts. Comme toujours, nous comptons sur ta bienveillance, ne nous laisse pas tomber. Protège-nous de nos passions raffinées d’altercations !
Abdourahmane Sénateur Diallo, journaliste, auteur, blogueur